Rocca Sparvièra, Coaraze.
Quelques 11 km à pied, 700m de denivelé, 15 amis dans la bonne humeur, soleil, chaleur...
ROCCASPARVIERA VILLAGE FANTOME
Roccasparvièra, « la roche de l’épervier », situé à une trentaine de kilomètres au nord de Nice et à 3 km au nord ouest de Coaraze, dresse ses ruines confondues à la roche grise dont elle émane à 1100m d’altitude, au-dessus du col Saint Michel reliant les vallées de la Vésubie et du Paillon.
Ce village fantôme, dans un décor sauvage, est marqué de légendes sanglantes où se mêlent crime et anthropophagie stimulés par la vengeance.
Au Moyen Âge, ce lieu aurait été maudit par la Reine Jeanne à qui on aurait servi ses enfants assassinés au souper du Réveillon de Noël.
Plus tard, pendant les guerres de la Révolution, de sauvages Barbets (sorte de Chouans), réfugiés dans les ruines, feront manger à des soldats français le cœur de l’officier meurtrier de leur père.
Le village, dominé par les restes de son château, s’accroche sur une crête rocheuse surveillant le col, passage obligé d’une voie inter-vallée. Il peut être visité après avoir laissé son véhicule au hameau de l’Engarvin au nord de Coaraze ou depuis Duranus.
Il faut compter une bonne heure de marche pour y accéder.
Une cinquantaine de bâtisses ruinées s’entassent dans une enceinte avec les traces d’un four et d’une citerne. Des caves voûtées sont encore debout.
Au nord-est, les vestiges de l’enceinte sont complétés par les restes du logis seigneurial avec fenêtres à meneaux. Une sorte de poterne effondrée s’ouvrait au nord de l’enceinte.
Les grandes façades surplombant à l’est le chemin de l’Engarvin sont datables du XVIème siècle.
Seule subsiste intacte sur une plate-forme au sud, la chapelle Saint Michel, restaurée en 1924 sur les structures de la paroissiale.
Revenons sur les origines de Roccasparvièra qui apparaît pour la première fois dans l’Histoire dans deux chartres du XIIème siècle recensant les paroisses dépendantes de l’évêché de Nice .
Le 6 mars 1271, un des membres de l’illustre famille niçoise des Riquier prête hommage au souverain, ils seront co-seigneurs de Roccasparvièra, avec un certain Faraud en 1309.
En 1271, le village compte 150 habitants son église paroissiale est déjà dédiée à Saint Michel.
Le château est mentionné en 1358 dans le contrat d’inféodation et acquis avec son fief pour 700 florins d’or par Pierre Marquesan de Nice.
En 1364, la Reine Jeanne élève le fief au rang de baronnie, mais une invasion de sauterelles anéantit les cultures.
La misère se poursuit au point qu’en 1376 la petite communauté est déclarée insolvable.
Au dédit de 1388, les nobles locaux s’opposent au nouveau pouvoir savoyard sauf Pierre Marquesan qui se verra gratifié d’une pension spéciale de 200 florins d’or par le Comte rouge. Il s’oppose ensuite à son protecteur, accusé de haute trahison, ses biens sont confisqués en 1391.
Disculpé, il sera réinvesti officiellement des fiefs de Coaraze et Roccasparvièra en 1399. La famille Marquesan conservera ensuite la seigneurie jusqu’en 1781.
Mais un sort funeste semble s’acharner sur ce malheureux village victime d’une série d’épidémies de peste au XVI e siècle emportant une partie de la population.
De plus, une suite de redoutables tremblements de terre vont détruire une partie des maisons entraînant le début de son abandon : 20 juillet 1564, un des plus violents de France, 31 décembre 1612, suivi en 1618 d’importantes secousses du 14 au 18 janvier mettant bas maisons et église avec chutes de rochers.
Retrouvons le village ruiné de Roccasparvièra après les catastrophes qu’il a connu au fil des siècles.
L’abandon progressif de cette commune qui aurait compté jusqu’à 350 âmes avant ces bouleversements, avec administration communale et même un notaire, va s’échelonner tout au long du XVIIème siècle.
Si en 1690 quelques irréductibles s’accrochent encore aux ruines, dix ans plus tard, seuls le curé et sa servante y résideront encore avant de se résigner à partir eux aussi en 1723.
L’abandon s’explique d’une part par l’absence d’eau sur ces hauteurs au relief tourmenté où seules des citernes d’eau de pluie devaient permettre une vie précaire, d’autre part les destructions des tremblements de terre qui malmenèrent effroyablement les villages plantés sur le roc.
La terrible malédiction de la Reine Jeanne expliquerait pour certains les malheurs successifs de Roccasparvièra.
De passage à la Noël 1357, dans son fief de Roccasparvièra, la Reine Jeanne tint à assister à la messe de minuit dans l’église du village voisin de Coaraze.
Elle laissa ses deux enfants à leur nourrice et au chapelain qui s’était fait porter malade afin de goûter les vins du réveillon.
En chemin, la Reine Jeanne fut saisie par un pressentiment accentué par les croassements d’un sombre vol de corbeaux qui semblaient répéter : « la Reine va à la messe, lorsqu’elle reviendra elle trouvera table mise ! ».
A son retour au château, la reine découvrit un horrible spectacle : le chapelain ivre mort, la nourrice gisant dans le bûcher et sur la table du festin, couchés sur un plat, les corps nus des pauvres enfants avec un large couteau planté dans la poitrine.
Folle de douleur, la Reine Jeanne repartit le lendemain vers Naples, après avoir fait incendier le château.
Sur le chemin de Coaraze, elle se retourna vers le rocher de Roccasparvièra et proféra cette terrible malédiction : « Roche sanglante, roche maligne, un jour viendra où sur tes ruines ne chantera plus ni le coq ni la poule ».
Depuis, le maléfice s’est réalisé.
Edmond ROSSI
D’après « Les Châteaux du Moyen-âge en Pays d’Azur » (Alandis-éditions Cannes)